1 janvier 1970

27 novembre 1962 [Mgr Lefebvre] Deuxième intervention de au concile (sur la finalité du concile)

SOURCE - Mgr Lefebvre - 27 novembre 1962

Vénérables Frères,

Permettez-moi de parler, non seulement de ces schémas, mais de notre méthode de travail. Si nous devions aujourd’hui retourner à notre propre ministère, n’est-ce pas avec une certaine douleur que nous quitterions la Ville. En effet, si nous ne doutons pas d’une réelle unanimité entre nous, pourtant cette unanimité n’est pas apparue clairement jusqu’ici.
   
Cette déficience ne provient-elle pas principalement de notre méthode ? Jusqu’à présent, nous avons tâché d’atteindre, dans un même texte, des fins sinon opposées, du moins fort diverses ; notamment : mettre en lumière notre doctrine et extirper les erreurs, favoriser l’oecuménisme, manifester la vérité à tous les hommes. Nous sommes des pasteurs et, nous le savons bien, nous ne parlons pas le même langage à des théologiens et à des non-initiés ; et non plus de la même façon à des prêtres et à des laïcs. Comment donc définir notre doctrine de telle sorte qu’elle ne donne plus lieu aux erreurs d’aujourd’hui et, dans une même texte, rendre cette vérité intelligible à des gens non versés dans la science théologique ? Ou bien notre doctrine n’est pas présentée comme il se doit pour devenir intelligible à tout le monde ; ou bien cette doctrine est parfaitement bien exposée, mais la formule n’en est plus intelligible pour les non-initiés.
    
Or, cette difficulté est accrue dans notre Concile, parce que, du fait des circonstances actuelles et du désir explicite du Souverain pontife, l’exigence de s’adresser directement à tout le monde paraît davantage que dans les Conciles précédents. Les moyens de communication sociale accroissent en nous, de jour en jour, le zèle pour la prédication de la vérité et le désir de l’unité.
    
D’autre part, il est clair que, de par la nature même de notre sujet, de par les paroles du Souverain pontife lui-même, « il est de la plus haute importance, pour un Concile oecuménique, de conserver et de formuler de façon plus efficace le dépôt sacré de la doctrine chrétienne ». Et qu’il me soit permis d’affirmer, en tant que Supérieur général – et sur ce point, j’en suis certain, les autres Supérieurs généraux sont d’accord avec moi – que nous portons une très grave responsabilité : celle d’inculquer à nos futurs prêtres l’amour de la saine et intègre doctrine chrétienne. La plupart des pasteurs ici présents n’ont-ils pas reçu de religieux ou de membres de quelque institut clérical leur formation sacerdotale ? Il est donc pour nous de la plus haute importance que « toute la doctrine chrétienne traditionnelle soit reçue de cette manière exacte, dans sa pensée et dans sa forme, qui resplendit surtout dans les Actes du Concile de Trente et de Vatican I », selon les paroles mêmes du Souverain pontife.
   
En conséquence et à cause des arguments de la plus haute importance, il faut absolument respecter et retenir ces deux désirs : exprimer la doctrine de façon dogmatique et scolastique pour la formation des érudits ; présenter la vérité de manière plus pastorale, pour l’instruction des autres gens.
   
Comment alors donner satisfaction à ces deux excellents désirs ? Humblement, très chers Frères, je vous propose la solution suivante, indiquée déjà par plusieurs Pères.
   
Si j’ose soumettre cette proposition à votre jugement, en voici la raison : dans la Commission centrale, nous avons déjà éprouvé les mêmes difficultés, surtout à propos des schémas dogmatiques. Or, j’ai soumis aux Pères de cette Commission centrale, afin d’arriver à l’unité de vue, cette même proposition, laquelle a obtenu l’unanimité morale.
   
Cette solution, proposée alors à la seule Commission centrale, semble aujourd’hui devoir être étendue, avec un excellent profit, à toutes les commissions.
   
La voici : chaque commission proposerait deux documents, l’un plus dogmatique, à l’usage des théologiens ; l’autre, plus pastoral, à l’usage des autres gens, soit catholiques, soit non-catholiques, soit infidèles.
   
Ainsi, bien des difficultés actuelles peuvent trouver une solution excellente et vraiment efficace :
  1. Il n’y aurait plus lieu d’objecter soit la faiblesse doctrinale, soit la faiblesse pastorale, objections qui provoquent une si grave difficulté.
    Ce faisant, les documents dogmatiques élaborés avec tant de soin et si utiles pour présenter la vérité à nos chers prêtres et surtout pour les professeurs et les théologiens, resteraient toujours comme la règle d’or de la Foi. Nul doute que les Pères du Concile accepteront de bon gré ces documents, cette sainte doctrine.
    Ainsi aussi, les documents pastoraux, aptes à être traduits beaucoup plus facilement dans les diverses langues nationales, pourraient présenter la vérité à tous les hommes, versés parfois ès sciences profanes, mais non théologiens, de façon plus intelligible pour eux. Avec quelle gratitude tous les hommes ne recevraient-ils pas du Concile la lumière de la vérité !

  2. L’objection provenant de la pluralité de schémas pour un même objet serait écartée par le fait même.
Par exemple : le schéma dogmatique « Obligation pour l’Eglise d’annoncer l’Evangile » serait fondu avec les principes énoncés dans les schémas sur « Les Missions » et deviendrait un document doctrinal pour la Commission sur « Les Missions ». 
Le schéma sur « Les Missions » serait un document pastoral, sorte de directoire pour tous les intéressés aux Missions. 
Le schéma dogmatique « Les Laïcs » et le schéma dogmatique « La Chasteté, le Mariage, la Famille et la Virginité » seraient fondus avec les schémas de la Commission sur « Les Laïcs » et deux documents en sortiraient : l’un dogmatique, doctrinal, adressé plutôt aux pasteurs et aux théologiens, l’autre, pastoral et à l’intention de tous les laïcs. 
Et ainsi pour toutes les commissions. 
A mon humble avis, si cette proposition venait à être admise, l’unanimité serait facilement réalisée, tout le monde retirerait du Concile les meilleurs fruits et nous-mêmes, nous pourrions retourner à notre propre ministère l’esprit en paix et ne formant qu’un coeur et une âme.   
Je soumets cette humble proposition au sage jugement de la présidence du Concile.